Sélection bibliographique

Aline Jacques, Centre de documentation pour l’alphabétisation et l’éducation populaire du Collectif Alpha

 « Les élèves de milieux défavorisés doivent être orientés le plus tôt possible vers les filières techniques ou professionnelles »1.

Préjugés et stéréotypes sur les pauvres sont monnaie courante mais à quoi servent-ils vraiment ? A qui ? A Genève en 1990 s’est déroulé la 42ème session de la Conférence internationale de l’éducation organisée par l’Unesco. Les participant·e·s y faisaient le constat que s’attaquer à l’analphabétisme sans s’attaquer à la pauvreté était un combat sans issue. Qu’il s’agisse de personnes migrantes ou de personnes d’origine belge en décrochage depuis des années, pauvreté et analphabétisme sont difficilement séparables. L’analphabétisme à l’origine de la pauvreté ou inversement ? Quelle importance ? Il s’agit de développer « une stratégie qui permette d’atteindre les groupes défavorisés et de leur fournir des programmes sur mesure »2. C’était il y a plus de trente ans… Aujourd’hui pourtant nous faisons les mêmes constats. Cette question est encore et toujours soumise à la schizophrénie qui enserre et oppose nos politiques publiques et économiques, nos politiques intérieures et internationales. Comment soutenir, être « avec » les personnes dans la précarité, alors que, comme le dénonçait Catherine Stercq en 2014, en Belgique francophone « nous avons 20.000 places pour 60.000 demandes »3 ? Presque 10 ans après la question se pose de manière plus criante encore : comment investir dans les politiques de l’éducation tout en subissant simultanément la pression néolibérale de réduction des dépenses publiques ? Nos instances de terrain, censées soutenir les politiques publiques dans la lutte contre l’analphabétisme, sont abandonnées par ces mêmes pouvoirs publics. Une grande partie du milieu associatif se retrouve contraint d’emprunter aux banques pour pallier les retards de paiement des subsides publics et, qui plus est, sera soumise dès 2024 à la concurrence des entreprises privées. C’est donc non seulement les bénéficiaires mais tout le système associatif qui est voué à la précarité… Les lectures suivantes proposent une réflexion autour de constats depuis longtemps établis mais qui, aujourd’hui, s’incarnent réellement. La pauvreté traduit la nature de la société dans laquelle nous vivons. Comment peut-on approcher, comprendre, travailler et penser « avec » les personnes qui en subissent les conséquences directes ? Par un croisement des savoirs, un partage du pouvoir, une meilleure compréhension des mécanismes d’appauvrissement qui nous guettent ou nous touchent déjà tous et toutes afin d’y réfléchir ensemble en partant de l’individu pour, surtout, en faire une réflexion collective.

John FOX, Jan POWELL, Un monde alphabétisé, Bureau international de l’éducation, 1990, 31 p.

Ce texte est un ensemble d’informations recueillies lors de la conférence internationale de l’éducation organisée par l’Unesco à Genève en 1990. Il s’agit d’un état des lieux de la question de l’alphabétisation au niveau mondial. Incluant la question de l’alphabétisation et de la pauvreté dans une réflexion critique des politiques internationales et des rapports de dépendance Nord-Sud, ce dossier fait le tour d’une vaste question à un moment T mais qui, même 40 ans plus tard, constitue une bonne introduction à la problématique liant la pauvreté à l’analphabétisme à travers le monde. Des enfants aux adultes inclus dans la réflexion, de l’enseignement pré-primaire au décrochage scolaire, du non-accès à l’éducation à l’enseignement non formel des jeunes gens et des adultes analphabètes…, ils et elles posent la question « comment s’y prendre ? », « comment inclure les femmes et les jeunes filles dans cette réflexion globale ? », « comment prendre en compte la pauvreté ? », « comment travailler la motivation ? », etc. Vous y trouverez un ensemble de constats et de pistes de réflexions qui certes sont assez globales et ne rentrent pas dans le détail de situations particulières mais qui ont le mérite d’offrir un panel de la situation mondiale de l’époque et des réflexions qui s’y rattachent.

David LALOY et Hélène MARCELLE (sous la direction de), Alphabétisation et littératie : Politiques, pratiques et publics, in Les Politiques Sociales, numéros 1 et 2, 2014, 136 p.

Ce numéro de la revue Les Politiques Sociales étudie les logiques de construction sociale, d’évolution et de diversification de l’alphabétisation dans différents contextes nationaux et régionaux. À travers des contributions provenant du Canada, de la France, de la Norvège et de la Belgique, ce dossier donne un aperçu des enjeux et défis politiques et pédagogiques de l’alphabétisation en mobilisant plusieurs niveaux d’analyse : la décision politique, les dispositifs d’action mis en œuvre et les apprenants. Le chapitre consacré à la Belgique reprend les propos de Catherine Stercq pour le côté francophone et de Marc Timmerman pour le côté flamand. La différence d’orientation politique entre les deux communautés est apparente ; une prise en charge publique d’un côté et une prise en charge associative de l’autre font que l’offre suit des logiques différentes. Mais la pauvreté, l’immigration sont bien des deux côtés le point de départ des premières initiatives bénévoles d’alphabétisation. Une autre partie du livre propose une analyse de Véronique Leclercq de l’évolution des politiques publiques françaises et internationales qui vont, petit à petit, faire des apprenant·e·s et des migrant·e·s des personnes censées devenir des « entrepreneur·se·s d’eux·elles-mêmes », forcé·e·s de se préoccuper de leur « citoyenneté active » afin de s’adapter à la société de la connaissance tout en étant attentives à leur développement personnel. Mais comment concilier cette tendance émancipatrice et cependant managériale avec la pauvreté des moyens octroyés sur le terrain alors que la pauvreté et ses conséquences empêchent justement ces personnes de prendre en main leur apprentissage ? La question reste ouverte.

Laurent OTT, Philosophie de la précarité : Sortir de l’impuissance, Chronique sociale, 2019, 167p.

Comment permettre au/à la lecteur·rice d’appréhender au mieux ce que la précarité est en réalité ? L’ouvrage s’appuie sur une synthèse des connaissances sur le sujet, mais surtout sur les caractéristiques observables des phénomènes de « précarité » et de « précarisation ». Les idées, les observations et les réflexions sont amenées au même titre que les difficultés des pratiques actuelles en matière d’intervention socioéducative, sanitaire et sociale, dans l’enseignement et dans le secteur de l’éducation populaire. La précarité se généralise et le phénomène de précarisation est impossible à prendre à sens contraire une fois que l’on est pris dedans. Seules des décisions collectives peuvent prendre le courant à sens inverse. Même les personnes qui luttent contre cette précarité, les travailleur·se·s sociaux, les militant·es et les bénévoles, en sont de plus en plus victimes. Leur travail se prolétarise et ils s’en retrouvent de moins en moins acteur·rice·s pour devenir des exécutant·e·s de programmes imposés de l’extérieur… C’est l’ensemble du corps social qu’il faut soigner. Selon l’auteur, il s’agit bien d’une guerre contre la précarité qui se maintient par la peur. Il s’agit donc de mettre en place des stratégies pour inverser cette peur, pour qu’elle change de camp. Ce n’est pas le précaire qui se précarise comme on a tendance à le croire mais bien l’institution, la société qui exclut, qui marginalise. Cette même société qui impose à tous et toutes de devenir autonome, « d’obéir par soi-même aux consignes », de se mettre en projet, d’être mobile, non pas au nom de la liberté mais bien au nom d’une concurrence sans limite qui ne supporte pas les « assisté·e·s ».

ATD-QUART MONDE, En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, Editions de l’Atelier, Editions Quart Monde, 2013, 188 p.

Ce livre, bien que très franco-français, peut répondre à des questions qui nous traversent également en Belgique. Plus la crise économique et sociale s’accentue, plus les idées reçues sur les pauvres se répandent. Plus cette crise est présentée comme une catastrophe naturelle, plus les pauvres sont convoqués au tribunal de l’opinion publique : « S’ils sont pauvres, ce serait « de leur faute » ; « S’ils sont à la rue, c’est qu’ils l’ont choisi » ; «S’ils font des enfants, c’est pour les allocations familiales » ; « Ce sont des assistés qui coutent cher à la société » ; « D’ailleurs, s’ils voulaient vraiment chercher du travail, ils en trouveraient » ; « Ils perçoivent des allocations alors qu’ils élèvent mal leurs enfants ». Dans ce flot de discours, les étrangers sont particulièrement visés : « Ils peuvent profiter facilement des minima sociaux qu’ils ne perçoivent pas dans leur pays ». Ce livre répond point par point à plus de 80 idées reçues sur la pauvreté. Accessible à un grand public, cet ouvrage défait la chape de plomb du fatalisme. Il invite à briser les murs de l’apartheid social qui s’est instauré en France (comme ailleurs) et à vivre une rencontre libératrice : sortir des préjugés où les uns sont bons et les autres mauvais, se connaître au lieu de s’ignorer pour inventer ensemble une société où la misère n’aura plus droit de cité.

Bernard VERFAILLIE, Agir avec les pauvres contre la misère, Editions de l’Atelier, Editions Quart Monde, 2016, 172 p.

Les idées reçues, naïves ou négatives sur les pauvres et sur la misère sont démenties par les initiatives menées un peu partout par et avec les personnes en situation de pauvreté. Agir contre la misère avec les premiers et premières concerné.e·s, c’est le propos de ce livre qui, partant de petites expériences particulières, parvient à se relier à la question plus globale du « comment penser les actions si cela ne part pas des premières personnes concernées ? ». Cela s’applique à tous échelons et dans tous domaines. Nous avons tendance à faire « pour » les personnes dans le besoin et non « avec » alors que seules les personnes concernées ont la capacité de penser les situations qu’ils et elles vivent de la manière la plus juste. Des campements de migrant·e·s aux réunions des Universités populaires d’ATD Quart Monde, de l’accueil de personnes sans domicile aux expériences pilotes d’emplois d’utilité sociale, des rues des cités aux tribunes de l’Union européenne, Bertrand Verfaillie analyse une trentaine d’actions sur l’ensemble du territoire français. Les acteur·rice·s interrogé·e·s sur leurs démarches en tirent des enseignements à la fois réalistes et stimulants. Des petits récits de vie contextualisés, des situations bloquées, qui paraissent sans issue aux initiatives locales… Le temps, la méthode, la conviction, le respect, l’équité, l’ouverture, l’innovation sont autant de conditions pour agir, autant de leviers pour soulever les barrières qui fracturent nos sociétés.

Olivier BAILLY, Ces vies en faillite : Le surendettement des ménages en Belgique, Renaissance du Livre, 2011, 194 p.

En 2011 en Belgique, au moins 93 000 personnes étaient surendettées : 93 000 vies en faillite. Et le chiffre ne fait qu’augmenter. La majorité d’entre elles vivent leur déchéance financière dans un silence honteux. Avec un.e Belge concerné.e sur cent, il y a pourtant beaucoup de chances pour que vous connaissiez un·e surendetté·e. Vos voisin·e·s, vos ami·e·s, peut-être votre famille. Personne n’est à l’abri. Les surendetté·e·s sont-ils·elles avant tout des flambeur·se·s ? Non. Dans cet ouvrage, Olivier Bailly démontre que les causes du surendettement sont bien plus complexes. Au moyen d’interviews d’experts, de reportages en immersion dans des foyers surendettés et d’enquêtes « undercover » auprès d’organismes prêteurs, il dépeint la réalité du surendettement en Belgique, reflet des dysfonctionnements de notre société. De « qui est surendetté » à « qui surendette ? », l’auteur analyse les crédits à la consommation (ING, la Fnac, Carrefour etc.), les effets de l’arrêt du remboursement et l’engrenage que cela entraîne. L’État semble se mordre la queue quand il lutte contre le surendettement. Il met en place l’accès à des crédits, ces mêmes crédits qui sont indispensables à la croissance, croissance qui maintient l’État sur pied…

Claude FERRAND (sous la direction de), Le croisement des pouvoirs : Croiser les savoirs en formation, recherche, action, Editions de l’Atelier, Editions Ouvrières, Editions Quart Monde, 2008, 224 p.

Faire place dans l’action à la participation des personnes très pauvres, à leurs savoirs et réflexions, est une nécessité incontournable et un défi. Le livre « Le Croisement des Pouvoirs » dresse le bilan de dix années de « co-formations » mises en œuvre en Europe par l’équipe des « Ateliers du croisement des savoirs » d’ATD Quart Monde. Dans ces formations croisées entre professionnels de l’intervention sociale, de l’éducation ou de la santé avec des personnes en situation de pauvreté, chacun part de sa propre expérience. Ce qui est dit est pris au sérieux, analysé, critiqué et confronté avec les autres. Ce livre mesure également l’impact du croisement des savoirs au sein du monde universitaire. Le croisement des savoirs fait partie d’un processus de lutte contre l’exclusion car il permet aux personnes qui possèdent un savoir non reconnu de le faire reconnaitre. Cela bouscule la hiérarchie des savoirs, les rôles que l’on attribue inconsciemment ou consciemment aux uns et aux autres. Vous trouverez dans ce livre une soixantaine d’interventions de personnes ayant participé aux co-formations-recherches-actions, dans un rapport de partenariat entre divers acteurs de changement et de lutte contre la misère. Ces co-formations se déroulent selon sept étapes : les représentations croisées ; l’écriture de récits d’expérience ; l’apport réciproque de connaissance ; l’analyse des récits ; les conditions pour devenir acteurs ensemble ; l’évaluation et la transmission du travail. La puissance de cette proposition repose sur cette démarche très structurée.

Pauvrophobie : Petite encyclopédie des idées reçues sur la pauvreté, Luc PIRE ; Le Forum Bruxelles contre les inégalités, 2018, 400 p.

Cette petite encyclopédie des idées reçues sur la pauvreté a pour ambition d’apporter une définition plus juste d’un phénomène qui touche 20 % de la population, un·e Belge sur cinq. Grand livre parsemé de petites phrases assassines à l’égard des personnes précarisées, pour être ensuite déconstruites les unes après les autres. Car par précarisées les auteurs et les autrices entendent plutôt rendues précaires que précaires par choix. C’est bien le système néolibéral qui fabrique la pauvreté et, pour ne pas le remettre en cause, l’origine du mal est attribuée aux personnes qui en subissent le plus les conséquences : « les pauvres sont sous-éduqués et intellectuellement limités ; les enfants d’immigrés font baisser le niveau scolaire. Ce sont des assistés, des profiteurs, des incapables, des fraudeurs… » Ces préjugés et stéréotypes sont multiples. Et s’ils sont associés à la peur ou à l’hostilité, ils se transforment en phobie. La pauvrophobie mène à une vision collective tronquée de la pauvreté et surtout des solutions à y apporter. Ces « préjugés à l’égard des pauvres et des chômeurs correspondent à un double mouvement à la fois économique et social. Le premier est celui de la justification des mesures néo-libérales qui entendent moderniser l’économie en s’attaquant aux solidarités traditionnelles de la société salariale et aux politiques de transferts monétaires en direction des plus défavorisés. Le second est celui de la justification des mesures répressives à l’égard des populations jugées menaçantes pour l’ordre social, notamment les populations migrantes… La conjonction de ces deux mouvements (…) contribue à remettre en question les fondements du lien social. » (p.15) Avec les services sociaux Le Forum – Bruxelles contre les inégalités a identifié 85 idées reçues. Chacune a été soumise à un expert qui s’est attaché à la déconstruire de manière argumentée, sur base des derniers chiffres et études disponibles.


  1. Pauvrophobie : Petite encyclopédie des idées reçues sur la pauvreté, Éditions Luc PIRE; Le Forum Bruxelles contre les inégalités, 2018, 400 p.
  2. John FOX, Jan POWELL, Un monde alphabétisé, Bureau international de l’éducation, 1990, 31 p.
  3. David LALOY, Hélène MARCELLE (sous la direction de), Alphabétisation et littératie : Politiques, pratiques et publics, in Les Politiques Sociales, numéros 1 et 2, 2014, 136 p.

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