Sélection bibliographique

Aurélie Audemar, Centre de documentation pour l’alphabétisation et l’éducation populaire du Collectif Alpha

La question des langages recouvre de nombreux aspects manifestes dans le secteur de l’alphabétisation. Cette sélection va s’intéresser particulièrement à deux d’entre eux et se focaliser sur la notion de langue.

Nous ferons ainsi d’abord référence à deux auteur·e·s, Malo Morvan et Éliane Viennot, pour nous aider à cerner ce qui est en jeu autour des questions de discrimination, émancipation et langue(s). Leurs ouvrages respectifs, résultats d’études savamment documentées, déconstruisent l’idée d’une langue-modèle et font le lien entre les phénomènes linguistiques et sociétaux.

L’autre aspect que nous mettrons en exergue est la variété qui caractérise tout groupe en formation et qui vient notamment de la singularité des parcours qui lient chacun·e à la langue française. En effet, les formations en alphabétisation rassemblent des personnes pour qui « le » français peut être notamment : la langue officielle de leur lieu de résidence mais pas celle parlée à la maison, une langue seconde, la langue du colon qui a laissé des traces douloureuses, ou encore leur langue maternelle qui porte le même nom que celles des enseignants, des médias, des administrations… mais qui ne leur ressemble pourtant pas. La liste des possibles est longue.

L’intérêt pour la, le pédagogue est de reconnaitre l’existence de ces variétés, de les mettre à jour avec les apprenant·e·s pour construire des pratiques offrant à chacun·e la possibilité de faire entendre une voix qui a autant de valeurs qu’une autre. C’est ainsi que nous nous intéresserons à la reconnaissance des droits linguistiques dans la société et leur prise en compte dans la formation. Pour ce faire, nous partagerons la Déclaration internationale des droits linguistiques et un document de la division des Politiques linguistiques du Conseil de l’Europe, suivis d’un texte d’Hervé Adami, pour terminer par des exemples de démarches visant une mise en valeur des pratiques langagières.

Malo MORVAN, Classer nos manières de parler, classer les gens, Éditions du commun, 2022, 280 p.

« La question des classements linguistiques est omniprésente dans nos quotidiens et a des effets sur la manière dont nous intériorisons des jugements sociaux plus ou moins légitimes. Ce livre contribue à les déconstruire », nous dit la quatrième de couverture.

Nous n’oserions pas enfermer Malo Morvan dans une catégorie tant il les défie toutes. Pour le présenter et introduire son travail, nous reprendrons ses propres mots1 : « Je dirais que j’aime la sociolinguistique, l’épistémologie des sciences humaines, le jazz, le fromage, l’éduc’ pop’, et les pédagogies de l’émancipation. » Son travail de recherche, qu’il situe donc entre épistémologie des sciences humaines et sociolinguistique, s’inscrit ouvertement dans les valeurs et finalités qui nous rappellent celles de l’alphabétisation populaire.

Dans ce livre, il présente un inventaire des difficultés que posent les tentatives de définition d’une langue, en s’appuyant sur de nombreux exemples. Il y propose un panorama très documenté des notions développées dans les recherches sociolinguistiques. Il questionne le processus de catégorisations, que ce soient celles des spécialistes du langage ou celles utilisées dans le quotidien. On soulignera la très esthétique épigraphe qui sort de son cadre : « À tous les gens qui débordent… »

Éliane VIENNOT, Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite histoire des résistances de la langue française, Éditions iXe, 2017, 139 p.

« Historienne des ‘femmes de l’ancienne France’ et de la manière dont leur mémoire se maintient ou disparait au cours des temps qui nous séparent d’elles. » C’est ainsi qu’Éliane Viennot décrit son point de vue. Son approche apporte une documentation importante sur l’histoire de la langue et « l’effort » fourni, au fil des siècles, par les institutions en charge de fixer les normes pour masculiniser la langue. Ce livre est notamment une réponse à celles et ceux qui s’inquiètent d’une féminisation actuelle de la langue. Car, comme le rappelle le titre d’un des chapitres, il ne s’agit non pas de « féminiser la langue » mais de « mettre un terme à la masculinisation ». À partir des noms de métiers, de la question des accords, des pronoms et bien d’autres notions du français, l’autrice invite à « innover tranquillement ». Au final, « Éliane Viennot démontre que la question ‘linguistique’ fait, au long des siècles, écho à la question politique sur les femmes : de quoi sont-elles ou pas capables ? faire le ménage ? discourir ? gouverner ? »2

Comité d’accompagnement de la Déclaration universelle des droits linguistiques, Déclaration universelle des droits linguistiques, Institut d’Edicions de la Diputació de Barcelona, 1998, 77 p., www.pencatala.cat/wp-content/uploads/2016/02/dlr_frances.pdf

Cette déclaration a été rédigée par des acteur·rice·s des cinq continents, avec le soutien de l’UNESCO : ONGs, experts en droit linguistique et centres d’écrivains du PEN Club (association ayant pour but de « rassembler des écrivains de tous pays attachés aux valeurs de paix, de tolérance et de liberté sans lesquelles la création devient impossible »). Elle a pour visée de servir de point de départ au travail des experts gouvernementaux. En introduction se trouve une présentation écrite par Rigoberta Menchú Tum, figure indigène guatémaltèque luttant pour les droits humains qui reçut le prix Nobel de la paix en 1992. Elle rappelle ce que peut représenter une langue maternelle, particulièrement pour des groupes opprimés : « La Déclaration universelle des droits linguistiques (…) est sans doute un outil important pour les diverses communautés et groupes linguistiques – tels qu’ils sont définis dans le document –
qui luttent d’une manière décidée pour préserver l’une des expressions fondamentales de leur culture
 : leur langue. »

Citons particulièrement le point 2 de l’article 3, particu-lièrement en lien avec le travail d’alphabétisation : «  (…) le droit pour chaque groupe à l’enseignement de sa langue et de sa culture ; le droit pour chaque groupe de disposer de services culturels ; le droit pour chaque groupe à une présence équitable de sa langue et de sa culture dans les médias ; le droit pour chaque membre des groupes considérés de se voir répondre dans sa propre langue dans ses relations avec les pouvoirs publics et dans les relations socioéconomiques. »

Division des Politiques linguistiques du Conseil de l’Europe, Langues régionales, minoritaires et de la migration, 2009, 6 p., https://rm.coe.int/langues-regionales-minoritaires-et-de-la-migration/16805a234e

Le Conseil de L’Europe produit en direction des secteurs de l’éducation et de la formation de nombreux documents de référence dont le fameux Cadre européen commun de référence pour les langues (le CECRL). Il semble néanmoins intéressant de se pencher sur la Plateforme de ressources et de références pour l’éducation plurilingue et interculturelle, bien moins connue. Le texte référencé ici sert d’introduction à la partie de cette plateforme qui traite des langues minoritaires et des langues des migrants dans les systèmes éducatifs3. Il présente des recommandations et résolutions non contraignantes pour les États membres. Via les politiques éducatives et de formation, il invite à donner une place à ces langues régionales, minoritaires et de la migration dans les dispositifs d’apprentissage, et ainsi à ne pas se préoccuper uniquement des langues nationales et internationales. Parmi les ressources citées dans le document, nous pointerons celle décrivant l’éducation plurilingue et interculturelle comme droit.

Voir également la présentation de l’éducation plurilingue et de l’éducation interculturelle : www.ecml.at/Thematicareas/Plurilingualandinterculturaleducation/tabid/4145/language/fr-FR/Default.aspx

Hervé ADAMI, Aspects sociolangagiers de l’acquisition d’une langue étrangère en milieu social, in Hervé ADAMI et Véronique LECLERCQ (éds.), Les migrants face aux langues des pays d’accueil. Acquisition en milieu naturel et formation, Presses Universitaires du Septentrion, 2017, pp. 51-87, https://books.openedition.org/septentrion/14071

Dans ce texte, Hervé Adami montre en quoi les compétences linguistiques sont insuffisantes comme seul indicateur du « niveau » de français d’une personne. « Lorsqu’ils [les migrants adultes] se retrouvent en formation linguistique, leur ‘niveau’ de langue en français est le produit de leur parcours sociolangagier. L’hétérogénéité ne peut donc pas être mesurée à l’aune des compétences linguistiques calibrées par des référentiels, mais en analysant l’ensemble des données biographiques des apprenants (…). » L’auteur donne comme exemples de données : l’origine sociolinguistique, la scolarisation, les origines sociales, le parcours dans le pays d’accueil, le parcours individuel de vie. Il invite à analyser « ce parcours sociolangagier », c’est-à-dire à comprendre comment, avec qui, dans quels contextes une personne est en relation avec la langue. Il est question ici de migrants mais ce travail est tout aussi intéressant et important à mener avec des apprenant·e·s dont le français est la langue maternelle, dans la mesure où aucun·e locuteur·rice n’a le même rapport à la langue, les mêmes pratiques ni la même manière de parler ou encore d’écrire.

Christiane PERREGAUX, (Auto)biographies langagières en formation et à l’école : pour une autre compréhension du rapport aux langues, in Bulletin suisse de linguistique appliquée, n°76, 2002, pp.  81-94, https://www.researchgate.net/publication/44150645_Autobiographies_langagieres_en_formation_et_a_
l%27ecole_pour_une_autre_comprehension_du_rapport_aux_langues

Stéphanie BEDOU et Marie-Josée HAMEL, Raconter sa biographie langagière en la géolocalisant : le récit cartographique numérique comme outil de formation en didactique des langues secondes, in La Revue de l’Association québécoise des enseignants de français langue seconde, volume 34, numéro 1, 2021, 12 p., www.erudit.org/fr/revues/aqelfs/2021-v34-n1-aqelfs05975/1076609ar.pdf

Nous terminons cette sélection par ces deux articles donnant des pistes pédagogiques en lien avec les éléments soulevés par les auteur·e·s précédent·e·s. Plus précisément, ceux-ci nous proposent réflexions, démarches et outils (numériques dans le deuxième texte) pour travailler les biographies langagières, c’est-à-dire pour reconnaitre, donner de la valeur aux langues et pratiques des langues des personnes en formation tout en leur permettant d’en développer de nouvelles.

Une version plus complète de cette sélection est disponible en ligne : www.cdoc-alpha.be/GED_BIZ/195079191325/Langages_et_emancipation.pdf


  1. http://malomorvan.free.fr
  2. Présentation de l’ouvrage dans Lidil (Revue de linguistique et de didactique des langues) par Marielle Rispail, n°49, 2014, pp. 201-202, https://journals.openedition.org/lidil/3530
  3. Textes de référence sur les langues régionales, minoritaires et de la migration à la page : www.coe.int/fr/web/platform-plurilingual-intercultural-language-education/regional-languages

Centre de documentationxx
148 rue d’Anderlecht 1000 Bruxelles
02 540 23 48 cdoc@collectif-alpha.be
Catalogue en ligne www.cdoc-alpha.be