L’usage du langage simplifié se situe à l’intersection de multiples problématiques sociales comme l’inclusion numérique, l’accès à la santé, la démocratisation et la transparence de la vie publique, la simplification et l’efficacité administrative, l’accueil des personnes allophones, etc. S’il était généralisé, il deviendrait une ressource clé pour de nombreux groupes de personnes, des personnes analphabètes ou illettrées aux personnes dyslexiques, aux personnes de langue étrangère, aux malentendant·e·s, aux personnes âgées ou aux jeunes enfants. Indispensable pour aider les personnes peu lectrices à comprendre tous types de messages, il facilite aussi la vie des lecteurs plus expérimentés.

Le langage simplifié : un confort pour les uns, une nécessité pour les autres

Louise Culot, chargée d’analyses et études
à Lire et Écrire Communauté française

Prenons un exemple concret. L’hiver approchant1, je cherche des informations sur le chèque mazout. Voici ce que je lis sur le site du Service public Économie : « Une allocation de 225 euros net est accordée, de manière unique et forfaitaire, à tout ayant droit ayant été livré par une entreprise entre le 15 novembre 2021 et le 31 décembre 2022, en tant qu’intervention dans le paiement de la fourniture de gasoil ou de propane en vrac destiné au chauffage de sa résidence principale. »

Tous ces mots sont-ils nécessaires pour communiquer à propos du chèque mazout ? L’information est-elle lisible, même pour les lecteurs débutants ou non francophones ? Des expressions comme « ayant droit » et « unique et forfaitaire » sont-elles indispensables ? L’usage de la forme passive est-elle pertinente ?

Maintenant essayons de transcrire ce message en langage simplifié :

« Vous vous chauffez au mazout ? Vous pouvez recevoir un chèque de 225 euros.

Voici les conditions pour recevoir ce chèque :

  • Vous avez acheté du mazout entre le 15 novembre 2021 et le 31 décembre 2022.
  • Vous avez acheté ce mazout pour votre logement. »

J’avoue que j’ai dû m’y prendre à plusieurs reprises avant d’arriver à cette formulation plus ou moins acceptable. Loin d’être un jeu d’enfant, la transcription de textes en langage simplifié, comme tout exercice de traduction, est exigeante.

Aux origines du langage simplifié

L’idée d’un « langage simplifié » apparait aux États-Unis dans les années 70. À l’époque, des professionnels du droit critiquent les habitudes langagières des législateurs et des avocats. L’usage abusif d’un jargon, de termes techniques et d’expressions en latin entretient des problèmes de compréhension. Le langage simplifié est alors conçu comme une solution à la complexité du langage légal. Le concept innovant atteint rapidement les milieux politiques. Dès la fin des années 70, il devient l’objet d’une politique publique dont l’objectif dépasse le contexte du milieu juridique pour rejoindre des préoccupations relatives à la simplification administrative. En 1978, l’État de New York adopte le Plain language law, première d’une longue série de dispositions qui aboutira, en 2010, à l’adoption du Plain Writing Act par le président Obama. En vertu du Plain Writing
Act, toutes les agences fédérales des États-Unis sont tenues d’avoir recours au langage simplifié dans leurs communications avec les publics. En Europe, la Suède s’engage, dès 1976, à moderniser la langue utilisée dans la loi et, en 2005, son parlement adopte une loi généralisant l’usage du langage simplifié dans toutes les communications officielles.

Accessibilité universelle : équité et autonomie

Au début des années 2000, Inclusion Europe, coupole européenne d’associations nationales de représentation et de défense des droits des personnes en situation de handicap2, promeut à son tour la généralisation de l’usage du langage simplifié. À l’époque, cette revendication procède de celle, plus globale, de mettre en œuvre le principe d’« accessibilité universelle » dans tous les domaines de la vie sociale.

L’« accessibilité universelle » est, à l’origine, une notion développée en architecture pour la construction de bâtiments et l’aménagement d’espaces publics. Il s’agit de concevoir tout environnement de manière à ce que chacun, quel que soit son état et ses capacités, puisse y réaliser ses activités de manière autonome et équitable3. La double exigence d’autonomie et d’équité implique par exemple que l’entrée d’un bâtiment soit accessible à tout le monde au lieu de prévoir une deuxième entrée adaptée aux personnes à mobilité réduite qui les oblige à faire un détour pour l’emprunter.

Appliquée au domaine de l’information, l’accessibilité universelle encourage une production d’écrits lisibles et compréhensibles par tous, peu importe le niveau de compétences en littératie des destinataires.

En 2006, la Convention relative aux personnes en situation de handicap de l’ONU établit la responsabilité des organisations et des services publics et privés d’assurer l’accès à l’information et à la communication aux personnes porteuses de handicap et la nécessité de développer l’usage du langage simplifié. Dans la foulée de cette reconnaissance internationale, Inclusion Europe formalise une série de règles à appliquer pour réussir la transcription de textes en langage simplifié. Ces règles portent aussi bien sur la forme que sur le fond des textes et sont transposables dans plusieurs langues européennes. Au total, Inclusion Europe met à disposition, sur son site, 16 guides, dont celui pour la rédaction en FALC4 (français facile à lire et à comprendre).

Il est souvent plus simple de faire compliqué

Le langage simplifié n’est pas seulement une affaire de longueur de phrases. L’objectif est de rendre un texte lisible et compréhensible par tout le monde au moyen de règles de mise en page et d’écriture. Il s’agira de ponctuation, de justification, de type de caractères, de choix de mots, de conjugaison, etc. Aujourd’hui, une cinquantaine de règles sont applicables, selon les guides5.

Le guide L’information pour tous. Règles européennes pour une information facile à lire et à comprendre propose d’abord une vingtaine de règles applicables à tous types d’information écrite, électronique, audio ou vidéo avant de spécifier certaines règles propres à tel ou tel support. Voici quelques principes communs à tous les supports d’information :

  • impliquer les personnes concernées dans la rédaction ou la conception du message ;
  • utiliser des mots que les gens connaissent ;
  • à défaut de mots simples, expliquer les termes compliqués ;
  • avoir recours à des exemples ancrés dans la vie quotidienne ;
  • utiliser un même mot pour désigner la même chose tout le long du texte ;
  • écrire des phrases courtes, positives et actives ;
  • éviter l’usage du passif ;
  • s’adresser directement au lecteur au lieu d’employer une formulation impersonnelle ;
  • placer les informations dans l’ordre de leur priorité, voire les répéter plusieurs fois si elles sont importantes.

Ensuite, une trentaine de règles spécifiques aux informations écrites sont proposées, dont voici quelques exemples :

  • une police sans empattement pour faciliter la lecture, par exemple Tahoma ou Arial, et une taille de police assez grande, minimum 14 ;
  • une justification à gauche ;
  • des contrastes évidents (du foncé sur du clair ou du clair sur du foncé) ;
  • des mots simples, pas d’abréviations et, si possible, pas trop de pronoms ;
  • pas de notes de bas de page (il vaut mieux tout expliquer dans le texte) ;
  • « 1 phrase = 1 ligne » et « 1 idée = 1 phrase » ;
  • dans le cas d’1 phrase sur 2 lignes, couper la phrase à l’endroit où l’on ferait une pause lorsqu’on lit à voix haute ;
  • pas de césure de mot en fin de ligne ;
  • placer les informations importantes au début du document, en gras ou encadrées ;
  • utiliser des titres simples ;
  • des graphiques simples et bien expliqués sont parfois plus efficaces que du texte.

Comme vous le constatez, certaines règles constituent une rupture avec notre manière habituelle d’écrire. Par exemple, le fait d’utiliser toujours le même mot pour parler de la même chose ou de revenir à la ligne à chaque nouvelle phrase peut paraitre contrintuitif. Aussi, la complexité ou spécificité de certaines informations nécessiterait que des experts du domaine (juridique ou médical, par exemple) soient associés au travail de rédaction ou de transcription en FALC pour permettre une clarification de l’information sans pour autant en perdre ou en diminuer le sens. L’erreur à ne pas faire, c’est d’écrire un texte infantilisant alors qu’on s’adresse à un lecteur adulte.

Pour une approche politique globale du langage simplifié

Dans le cadre des processus de numérisation, la transcription en langage simplifié des informations et des démarches destinées à être mises en ligne pourrait devenir une étape clé afin de garantir la continuité et l’équité d’accès aux services publics. Pourtant, aucune disposition légale n’a encore été prise dans ce sens. Or on sait aujourd’hui que les personnes en difficulté avec la lecture et l’écriture sont face à trois obstacles potentiels lorsqu’elles s’informent sur un site ou utilisent un service en ligne non transcrit en langage simplifié. Premièrement, les procédures numérisées exigent des compétences en bureautique et en informatique ainsi qu’une connexion à internet dont tout le monde est loin de disposer. Deuxièmement, le numérique évince la possibilité d’interagir avec un interlocuteur humain lorsqu’il effectue une démarche administrative, la personne devenant dépendante de l’aide d’un tiers pour effectuer ses démarches. Et enfin, la lecture sur écran, à fortiori sur un petit écran de smartphone, est une difficulté supplémentaire pour les personnes peu lectrices6.

Au niveau européen, la Commission organise des campagnes en faveur de l’écriture simplifiée depuis 20107, mais aucune directive n’a été adoptée. En Belgique, des initiatives ponctuelles existent comme le guide J’ose prendre le train de la SNCB rédigé en langage simplifié8 ou la version FALC du compromis de vente édité par la Fédération belge des notaires9, ou encore le modèle de bail en langage clair édité par la province de Namur en 2021 et conçu en partenariat avec des apprenants de Lire et Écrire Namur10. En 2017, le service de Simplification administrative et d’Administration numérique de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles (eWBS) publiait un Guide de bonnes pratiques pour des documents administratifs clairs11 mais nous ignorons si ce guide a fait l’objet d’une diffusion ou d’un travail de formation systématique auprès des fonctionnaires des différents services publics des institutions bruxelloises et communautaires.

Pour étendre son usage à tous les secteurs, le langage simplifié doit encore faire l’objet d’un effort d’appropriation plus large et, dans le meilleur des mondes, d’une stratégie politique transversale. Pour y arriver, la création d’outils de transcription, la formation de traducteurs spécialisés et l’harmonisation des règles de base seront indispensables. Des initiatives comme FALC.be de l’asbl Inclusion, un service pour traduire, corriger des textes en FALC et s’inscrire à des formations en FALC, sont encore trop marginales et trop peu visibles.

Un défi pour Lire et Écrire

En juin 2022, Lire et Écrire Namur lançait un premier ballon d’essai au sein du mouvement en proposant la formation Comment rendre accessibles, pour tout public, vos supports communicatifs ? Claire Monville, chargée de sensibilisation, est à l’origine de l’initiative. « Nous avions trop souvent l’impression d’avoir des documents, des brochures qui n’étaient pas adaptés à notre public, une impression partagée par des travailleurs du Centre d’Action interculturelle [de Namur]. Nous nous sommes donc unis pour proposer cette formation », explique Claire. Pour elle, les documents produits en interne à destination des apprenants ou des personnes en situation d’illettrisme devraient faire l’objet d’une attention particulière. « Par exemple, notre feuille de présentation du projet ‘écrivains publics’ nous semblait trop dense. Elle concentrait trop d’informations sans hiérarchie entre elles, etc. », poursuit la juriste de formation pour qui le langage simplifié est une préoccupation qui remonte à avant son engagement dans le monde de l’alphabétisation. « L’objectif de la formation était de créer une prise de conscience et de travailler, avec les différents participants, sur des documents que nous rapportions de nos organisations respectives. Il y avait, notamment, des participants du CPAS et de Fedasil. » Une formatrice de FALC.be est également venue y présenter les principes de base du français simplifié.

Pour Lire et Écrire, le langage simplifié représente sans doute un double défi. D’une part, il pourrait être associé au travail du mouvement en faveur de la prise en compte des personnes illettrées dans la société. D’autre part, il pourrait faire l’objet d’un usage plus systématique, tant au niveau de documents internes destinés aux apprenants que de documents plus généraux, comme les documents de présentation de l’institution, de sa charte et de ses missions, afin d’en faciliter l’accès aux personnes peu ou pas lettrées.

Que font les associations sœurs à l’étranger ?

Aux Pays-Bas, la fondation ABC Stichting, un syndicat d’apprenants ou de personnes ayant été en parcours d’alphabétisation, propose un service de traduction, d’édition ou de révision de documents en néerlandais facile à comprendre12. Le service est payant et est effectué par des membres d’ABC, préalablement formés comme « ambassadeurs de la langue ». « Pendant le Covid, le service a été particulièrement sollicité par les institutions publiques afin de vérifier que les communications relatives au Covid puis à la vaccination soient lisibles par tout le monde. Depuis lors, nous recevons de plus en plus de demandes, au point d’être ‘contraints’ de professionnaliser notre service en engageant une personne qui pourra recevoir toutes les demandes,les coordonner, les distribuer entre les différents sous-groupes régionaux », explique Geert Hoogeboom, l’un des administrateurs et volontaires de ABC Stichting. En outre, le syndicat s’est associé à la fondation Lezen en Schrijven Stichting pour proposer, en 2021, une série de séances de sensibilisation à la communication claire et accessible destinées à environ 500 fonctionnaires administratifs et personnel politique13.

En Irlande, NALA, l’Agence nationale d’alphabétisation, fait campagne autour du langage simplifié (« plain English ») depuis le début des années 2000. NALA a toujours réclamé la mise en place d’une approche gouvernementale globale en matière de langage simplifié, afin que tous les secteurs participent à l’effort. En outre, elle a développé son propre département consacré au « plain English », chargé à la fois de missions de transcription, de relecture de textes, d’organisation de la formation et de développement des ressources, sous forme d’outils et de supports à destination des publics et des organismes publics et privés14. Depuis 2005, le service Plain English a publié plusieurs guides et lexiques aux usages multiples (destinés tant aux apprenants qu’aux formateurs, aux professionnels du social ou de l’administration). Entre autres, NALA a publié un Guide de la citoyenneté en plain English dans lequel une série de termes et de concepts relatifs à la vie politique et à la citoyenneté comme anarchie, biodiversité, droits civils, ethnicité, conservateur, Commission européenne, équitable sont expliqués en langage clair15. NALA a également publié des guides pratiques sur la rédaction en langage simplifié16. Le dernier en date, paru en 2020, est un guide intitulé Covid 19 de A à Z en anglais simplifié17, à destination des organismes désireux de garantir la lisibilité de leurs messages.


  1. Texte écrit en octobre 2022.
  2. Fondée en 1988, elle compte aujourd’hui 78 associations membres dans 39 pays européens. Voir : www.inclusion-europe.eu
  3. https://idinterdesign.ca/laccessibilite-universelle
  4. www.inclusion-europe.eu/wp-content/uploads/2017/06/FR_Information_for_all.pdf
  5. Cindy DIACQUENOD et France SANTI, La mise en œuvre du langage facile à lire et à comprendre (FALC) : enjeux, défis et perspectives, in Revue suisse de pédagogie spécialisée, 2/2018, pp. 29-35, www.fovahm.ch/files/478/Mise-en-oeuvre-du-FALC-C.Diacquenod-et-F.Santi_.pdf
  6. Voir : Louise CULOT, Accessibilité numérique pour les personnes illettrées : la loi ne garantit pas l’égalité, Lire et Écrire Communauté française, février 2022, https://lire-et-ecrire.be/Accessibilite-numerique-pour-les-personnes-illettrees
  7. European Commission, Directorate-General for Translation, Clear Writing throughout Europe, Proceedings of the conference organised by the European Commission in Brussels, 26 November 2010, Publications Office, 2011, https://data.europa.eu/doi/10.2782/43553
  8. Dans le cadre de ce guide (www.falc.be/wp-content/uploads/2021/09/mode-emploi-guide-26062018.pdf), la SNCB a choisi de s’adresser aux « personnes à mobilité réduite ayant des difficultés de compréhension », incluant à la fois les personnes porteuses d’un handicap mental, les personnes âgées, les allophones, les analphabètes, les enfants, etc. Dommage cependant que les photos du guide ne mettent en scène que des personnes atteintes de trisomie 21, ce qui réduit et fausse considérablement l’image donnée des publics concernés.
  9. www.notaire.be/immobilier/acheter-un-bien/signer-le-compromis-de-vente/modele-de-compromis-en-langage-clair
  10. Dernière mise à jour à la page : www.province.namur.be/index.php?rub=news&id=733
  11. https://ensemblesimplifions.be/sites/default/files/guide_lisibilite_documents.pdf
  12. https://a-b-c.nu/over-ons/diensten-abc/voorlichten-en-testen/testpanels
  13. www.lezenenschrijven.nl/inspiratiesessies
  14. www.nala.ie/plain-english
  15. www.nala.ie/wp-content/uploads/2019/08/A-plain-English-guide-to-citizenship-terms.pdf
  16. Par exemple : www.nala.ie/wp-content/uploads/2018/08/Writing-and-Design-Tips.pdf
  17. Traduction libre.