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Édito du Journal de l’alpha 229

École et inégalités

Édito du Journal de l’alpha 229 : École et inégalités.

Par Sylvie Pinchart, directrice,
Lire et Écrire Communauté française.

La persistance de l’illettrisme chez des adultes qui ont pourtant bénéficié d’un enseignement obligatoire conséquent – près de 15 ans en Fédération Wallonie Bruxelles – est longtemps resté un tabou. Le fardeau des échecs scolaires endossé par ces enfants devenus adultes pèse sur l’ensemble de leur vie personnelle, familiale et sociale. Dans des publications antérieures nous en faisons largement écho au travers de témoignages et analyses réflexives tant des apprenantes que des intervenants en alphabétisation : formateursrices, accueillantes… [1] Ce tabou, dans le sens de ce qui est tu car socialement trop gênant, doit être levé et la responsabilité non pas portée par les seules personnes illettrées mais bien partagée collectivement par l’ensemble des acteurs de l’enseignement.

Il y a un sentiment fort, à la fois d’incrédulité et d’indignation, face à tant d’occasions manquées d’accompagner tous les enfants dans l’apprentissage des langages fondamentaux – l’oral, la lecture, l’écriture, le calcul et les savoirs de base. Le tous les enfants ne signifie pas une espèce de nébuleuse aux contours flous mais bien chaque enfant ou adolescent, quelle que soit origine sociale, quelles que soient ses conditions de vie !

Au-delà de l’indignation (de la colère parfois), comprendre plus pour agir mieux est le fil conducteur de ce numéro du Journal de l’alpha. Comprendre l’illettrisme, sa persistance, nécessite de prendre acte du lien entre inégalités sociales et inégalités scolaires. Formulé autrement, il y a une corrélation statistique entre les résultats scolaires et le groupe social d’appartenance. Si on prend comme présupposé que les « aptitudes naturelles ou innées » des enfants sont similaires, c’est bien le système d’enseignement qui transforme les inégalités sociales en inégalités de « diplômes, savoirs et compétences ».

Dans ce Journal de l’alpha, une large place est donnée à des contributions issues d’acteurs de l’école qui partagent leur expertise sur : Comment les inégalités sociales vécues dans le milieu familial se transforment en inégalités scolaires ? Et quelles sont les stratégies d’action ?. Merci donc à Fred Mawet, de ChanGements pour l’égalité (CGé), et à Olivier Mottint, de l’Appel à une École démocratique, (qui synthétise l’essentiel du travail de recherche de Nico Hirtt [2]).

Deux contributions traitent plus spécifiquement de questions liées à l’actualité : le Pacte d’excellence, vaste réforme de l’enseignement en Fédération Wallonie-Bruxelles dans lequel CGé s’implique, et la question des effets de la crise du COVID-19 sur l’acquisition des compétences de base des enfants de milieux populaires. Cécilia Locmant part ainsi à la rencontre d’acteurrices clés de première ligne et offre une approche exploratoire et empirique, tant les données sur ce sujet sont actuellement manquantes.

Un motif important et récurrent d’entrée en formation d’alphabétisation est l’accompagnement des enfants dans leur scolarité. C’est pour ces parents à la fois être capable de jouer pleinement leur rôle de soutien à l’apprentissage, à l’éducation et ne pas devenir un parent dépendant de ses enfants pour accomplir la multitude des actes nécessitant la lecture et l’écriture. L’implication des parents analphabètes ou illettrés dans la vie scolaire de leurs enfants est un levier puissant de prévention de l’échec. C’est de l’expérience des associations de terrain une volonté largement partagée par ces parents de milieux populaires, soucieux que leurs enfants s’approprient les ressources pour construire une vie meilleure. L’école aurait à gagner « en excellence » dans la réalisation de son enseignement à impliquer ces parents. Les relations entre ces parents et le monde scolaire sont souvent complexes et semées d’embuches, d’incompréhensions mais aussi parfois de violences institutionnelles. La place et le rôle des parents est évoqué dans plusieurs contributions et plus spécifiquement dans celle d’Aurélie Leroy.

Nos associations Lire et Écrire sont peu présentes dans les écoles. Nous menons ponctuellement un travail de sensibilisation à la persistance de l’illettrisme à destination de futures enseignantes ou d’élèves, comme en témoigne la contribution d’Ingrid Bertrand et Rosemarie Nossaint. Ce travail de sensibilisation gagnerait certainement à être systématisé.
Cependant, plus fondamentalement, il nous semble que ce sont les acteurs de l’école qui ont l’expertise et le pouvoir d’agir sur la réduction des inégalités scolaires.

Pour qu’ils puissent agir en ce sens il faut un cap politique et institutionnel clair et cohérent.
La maitrise des compétences de base par chaque enfant nous semble être une exigence politique et pédagogique raisonnable et incontournable dans un État démocratique… mais pourquoi n’est-ce pas la priorité de tous ?


[1Voir le Journal de l’alpha no 216 : Regards croisés, 1er trimestre 2020, ainsi que le Journal de l’alpha no 194 : École et analphabétisme, 3e trimestre 2014. Voir également : Étienne Bourgeois, Sabine Denghien et Benoît Lemaire, Alphabétisation d’adultes, se former, se transformer, Éditions L’Harmattan, 2021.

[2Avec Lire et Écrire, mais aussi d’autres associations et des syndicats d’enseignements, nous partageons un espace de réflexion et d’action : la Plateforme de lutte contre l’échec scolaire (CSC Enseignement, CGSP Enseignement, SEL-SETCA, APED, ATD Quart-Monde Jeunesse, CGé, Coalition des parents de milieux populaires et des organisations qui les soutiennent pour changer l’école, FAPEO, Infor-Jeunes Laeken, Ligue des droits de l’enfant, Ligue des familles, MOC, RWLP).